Un petit moment de grâce

Publié le par Jullian

En soirée, j'ai "droit" a quelques boeufs avec Davub et Monsieur Mazyar. Il a été peu présent notre hôte, passant pour les repas, restant un peu en soirée, mais avec la famille. Il me semblait de plus en plus inapprochable, et de plus en plus intimidant. Je me disais que j'aurai jamais la chance de jouer avec lui, ce qui me faisait bien chier parce que j'étais aussi venu pour ça, pour sa réputation d'excellent percussionniste. Enfin ça arrive, et je suis aux anges.

Les jours précédents, la musique était planante, lente. Davub et moi sommes plus excit
és, du coup la musique était plus rythmée ce soir-la, et j'ai pu voir le Mazyar montrer une partie de sa dextérité, assez impressionnante, même s'il en fait toujours plutôt moins que plus. Un morceau en particulier m'aura marqué. Un rythme de fou, un rythme de trans. Davub qui se déchaîne sur son tar, moi qui tricote des rythmes tordus sur ma percu, et Mazyar, au centre, assis en tailleur. Deux énormes vases en terre devant lui, un sous chaque main. Il fait une basse rapide en bouchant les goulots avec ses mains (donnant un peu un son de tabla grave, mais en plus percutant), et trouve le temps, entre le moment ou sa main se lève et celui ou elle retombe sur le goulot, de faire des petits rythmes aigus fabuleux en cognant ses ongles sur le bord du vase.C'est technique, dur a expliquer. Il fallait  voir et entendre ça ! C'était sensationnel. Un superbe moment de musique.

Une fois le morceau fini, parfait jusqu'au bout, le silence drape doucement les dernières notes qui volent encore dans l'air. Davub et moi sommes souriants, et un peu fatigu
és. Personne ne dit un mot. Mazyar se tourne lentement vers moi, me regarde et me demande de sa voix caverneuse :
"Tu viens d'où en France ?
- De Bretagne.
- Bretagne, Hum hum"

Il s'arrête et réfléchit la dessus. Pas un mot de plus. On aurait dit qu'il me posait une question importante. Je suis heureux, j'ai l'impression d'être intronis
é, accepté. Par le biais d'une question anodine.


C'est quand même dingue l'effet qu'il me fait ce type. Faudrait pas qu'il monte une secte, je tomberais dedans sans pouvoir résister. Et je serai probablement pas le seul. Dans le village, ils est extraordinairement respect
é. En quittant Teheran, ou il est né, et revenant vivre dans le village de ses parents et ancêtres (400 ans sur place), il a redonné vie a Garmeh, en réapprenant a tous (et en particulier aux jeunes) comment construire des maisons faites pour le désert, en amenant des touristes aussi, et développant des activités. A la base, c'est un artiste, sculpteur et musicien, mais ici il est comme le chef du village. Quelqu'un m'a dit qu'il avait passé 7 ans seul dans le désert. C'est peut-être une légende, mais j'aime bien l'idée et ça lui colle bien.

Publié dans IRAN

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