Home Sweet Home
Lundi 16 Mars 2009
Journée tranquille où je reprends mes repères. Je vais prendre mon petit-déjeuner au Shiva, comme toujours. Changement. Ils ouvrent plus la salle du haut, où on peut s'étaler comme des grosses patates sur des coussins. Il faut se tasser dans la salle du bas, à l'allure de cafétéria. C'est plein de monde, alors il faut s'incruster sur la table d'autres personne. J'aime pas ça. Je suis pas un bavard au naturel, mais le matin, au réveil, je suis carrément un autiste, et ça me saoule de devoir me tenir bien et faire des salamalecs à des inconnus avant même d'avoir du café qui me coule dans les veines. L'endroit a changé depuis quelques temps, depuis l'arrivée (le retour ?) du gérant indien. Il est absolument désagréable, stressé, stressant. Il impose des règles à la con, pour l'ordre et l'efficacité du service. Résultat des courses, c'est tout le temps le bordel, les serveurs sont débordés et énervés. C'est plus mon Shiva pépère et relax. Je préférais le service à la népalaise (nationalité de toute l'équipe hormis le gérant).
Je déménage chez moi, au New Kumiko. Retrouve ma chambre adorée, et le gérant taciturne et indolent, fils métis de Kumiko la japonaise et Shanti l'indien, collé constamment à son ordinateur à faire je ne sais quoi, sa femme bavarde et constamment excitée, toujours contente de me voir (« Aaah ! Mister Jouyia ! Vous êtes de retour ! Mais vous allez vous transformer en indien ! »), et Babu, le sympathique homme à tout faire et qui effectivement fait tout dans l'hôtel. Je ne fais que croiser deux de mes voisins dans l'escalier. Deux slaves, je sais pas d'où. J'espère qu'ils ne sont pas russes. J'ai eu que des mauvaises surprises avec les russes croisés jusqu'alors, et commence à sérieusement me méfier.
Je déballe mes affaires, étale tout ça dans un chaos familier, et sors mes deux bébés. Mes tablas sont pas sortis de leur caisse depuis presque deux mois. Ils sonnent comme des poubelles, les pauvres. Je fais de mon mieux pour leur redonner un peu de son et de dignité, sans beaucoup de succès, et mon jeu rigide et rouillé améliore pas les choses. Va sérieusement falloir que je me m'y remette, et pas qu'un peu.
Tabla, écriture, internet. Je reprend la petite routine, qui passe aussi délicatement qu'une journée de glandouille, bien que je fasse des choses constructives. C'est la magie de cette endroit. Une ville inspirante, créative, où les dieux, Krishna le flutiste et Saraswati (déesse des arts et joueuse de Veena elle-même) en particulier, doivent avoir leur résidence secondaire.
Je repasse par mon Chai-shop préféré sur les Ghats, et chez le faiseur de chowmein pas cher dans une ruelle qui donne sur Bengali Tola, la rue marchande parallèle aux Ghats. Je prend un coutumier « sweet curd » (sorte de fromage blanc sucré) chez la petite vieille du coin, et suis un des nombreux dealers du coin pour voir ce qu'il a à offrir. C'est pas habituel pour le coup (seulement la deuxième fois que j'achète du charas depuis que je suis en Inde, depuis que je voyage même), surtout qu'en général, y'a que de la merde sur Varanasi, mais j'en prends une demi-tola (~5 gr) pour fêter mon retour, et payer mes hommages au maître des lieux, Shiva, grand amateur de fumette.
Mardi 17 Mars 2009
J'ai revu Tetsu aujourd'hui, dans l'entrée du New Kumiko. On s'est tombé dans les bras. Ça fait plaisir de le voir. Mais il part demain, passer les deux dernières semaines de son visa indien à Omkareshwar avant de s'envoler de Mumbai pour l'Égypte. Il compte rester au Maghreb pendant trois mois, avant de revenir. Justement, il est en train de bosser avec le gérant de l'hôtel pour se faire une lettre de certification comme quoi il est étudiant en musique dans l'école de son maître. Il va tenter d'obtenir un visa étudiant d'un an pour son retour. Il a un papier à en-tête et ils se battent tous deux avec la langue anglaise pour faire un texte propre à imprimer dessus.
On se promet donc de se revoir à son retour pour un bœuf. Je serai peut-être plus à son niveau dans quelques mois. Il joue de la sitar depuis plus d'un an maintenant, et il est vraiment très doué. Il bosse comme un acharné aussi, au moins six heures par jour. C'est un modèle pour moi, de voir son enthousiasme, sa rigueur, sa persistance. Signe de son travail, les bouts de ses doigts sont ravagés et recouverts de corne noirâtre. On a joué ensemble quelquefois, avec des résultats divers. Mais il est encore trop fort pour que ça marche complètement. Je sais ce qui me reste à faire. Bosser, bosser, bosser.
J'ai aussi revu Monika et Valsa, deux des trois sœurs marchandes de cartes postales. Monika, la plus jeune, est toujours aussi acharnée sur la vente de ses cartes, stickers et autres babioles. Valsa, elle, semble toujours me faire la gueule. Ça dure depuis que j'ai acheté une boite de poudres de couleur à Barka, l'aînée. C'est leur objet le plus cher, et le plus difficile à fourguer, et Valsa est persuadée qu'elle était en droit de réclamer la priorité sur cet achat, ou un truc de ce genre. En tous cas, elle s'en remet pas que ce soit Barka qui est touché le gros lot.
Revenir à Varanasi, c'est aussi retourner à une vie pas cher. Avec de la « street food » grasse mais bonne pour moins de 50 cts d'€, des thalis à 25 Rs ( ~ 40 cts d'€), ma belle chambre à 2 € 50, mes beedies (j'en ai pas trouvé au Népal) à 2 Rs les 10, le tchai à 3 Rs, l'heure d'internet à 15 Rs... C'est agréable parce que Kathmandu, c'était comparativement super cher. L'argent n'est donc plus un souci. Je sais que mes économies vont pas souffrir par ici. Il me reste à acheter un vélo (ça me coutera moins sur la longueur que de le louer) et voir si je peux me trouver un appart pas cher, avec une petite cuisine. Et alors je serai comme un coq en pâte. Ma seule crainte si je prends un appart serait de me transformer en ermite asocial. Car qui dit appart dit plus de touristes voisins de palier, ma propre cuisine donc plus ou presque de restaurants à touristes où on peut faire des rencontres... Faut que je pèse le pour et le contre, mais au final, je pense que ce serait quand même sympa.
Je retrouve aussi les allées étroites et pavées aux abords des ghats, sans arrêt congestionnées par les passants, les motos, les chariots ambulants des vendeurs, et les éternelles bandes de vieilles indiennes qui squattent toute la largeur du passage. Et puis le slalom habituel entre les bouses de vaches, les flaques d'eau crasses et les tas d'ordures qui s'entassent un peu partout. Certains supportent pas cette saleté, qui est quand même particulièrement présente sur Varanasi. Moi, ça me dérange pas. Ça fait partie du paysage, ce serait même étrange sans ça et perdrait comme une partie de son « charme ». Il faut savoir que si tout le monde balance ses ordures dans la rue, c'est aussi pour que les vaches et les chiens y trouvent à manger (il faut voir ces gracieuses vaches sacrées farfouiller dans les sacs plastiques avec leur museau expert, c'est assez surprenant) Et puis, comme toujours en Inde, ça fournit un tas de petits boulots qu'on pourrait faire disparaître au profit d'une collecte plus efficace et propre, mais pour le meilleur comme pour le pire, cette multitude de petits boulots « superflus » perdurent et font vivre un nombre incalculable de familles.