Derniere loghorrée sur l'Iran avant la fuite
Le français dans le dortoir s'appelle Dany. Il se traîne une entorse depuis plus d'un mois. Entorse qu'on lui a plâtré deux fois, quels idiots ! Il vient de l'est (plusieurs mois de voyage), vient de traverser le Pakistan (il a réussi miraculeusement a choper un visa a l'ambassade pakistanaise de Katmandou) et se rend en Géorgie. On peut dire qu'il a choisi son moment, avec la guerre qui vient d'y éclater. Il travaille dans l'agro-bio et a passé d'ailleurs pas mal de temps a faire du WOOFING (bosser dans des fermes, souvent bio, qui t'hébergent et te nourrissent). Il vient d'une famille de vignerons et son voyage en Géorgie est, dit-il, un peu comme un pèlerinage étant donné que c'est la qu'on a trouvé les premiers, les plus vieux pieds de vignes. Il compte voir comment ils se débrouillent, les vignerons géorgiens qui, parait-il, ne font pas de la piquette.
J'ai mal au crane aujourd'hui alors j'écris pas, et reste un bon moment en fin de journée sur mon lit, rideaux tirés, a écouter les sommes de connaissances farfelues que le Suisse a emmagasiné pendant ses voyages en Inde. Lukas me sort de ce monde merveilleux peuplé de guerriers, de magiciens, gurus, de forces du mal et de pouvoirs en toutes sortes. Il m'invite a bouffer, et nous prépare des bolognaises dans la cuisine a l'étage. Hummmm, des pâtes... Après manger, on se décide a bouger. C'est la qu'arrive la tentative de vol a l'arrachée dont j'ai parlé plus tôt, a 20 mètres de l'hôtel. Un peu sonnés, on fait la seule chose censée : on va chercher une glace. Oui, c'est notre réponse a tous les problèmes, et alors ?! On erre dans les rues, a la fois énervés et mélancoliques, reprenant encore et toujours nos discussions sur l'Iran, poursuivant ainsi de retour a l'hôtel, sans se douter que l'oreille (in)discrète d'un iranien qu'on pensait imperméable a l'anglais nous écoute avec grand intérêt.
"Ce pays est gangrené, malade. Il me fait penser a ces personnes qui, attrapant telle ou telle maladie, deviennent sans le vouloir, sans le contrôler, des personnes mauvaises. Ces malades qu'on a connu tout miel, la gentillesse même et qui, sous influence de ce mal, se mettent a balancer des insanités, a ruminer de mauvaises pensées, a s'énerver et a perdre patience pour la moindre chose.
Ce mal, cette colere, c'est a se demander si le gouvernement ne la cultive pas, multipliant les interdits et les sujets de frustration. Et ce même gouvernement s'efforce en parallèle a maintenir les gens dans l'ignorance, et a diriger cette colere envers des cibles choisies. Israel (souvent désignés comme les sionistes au lieu des israéliens dans les journaux), les Etats-Unis, le monde occidental dans son ensemble, ses infideles, mécréants qui ne croient pas en Dieu et se jette dans le stupre et l'immoralité. L'information est contrôlée, l'information est propagande. Et l'information reste malgré tout synonyme de vérité. Donc pas de mise en doute a l'extrême, sauf par une partie de la population. Il faut plus fumer le qalyan parce que ça peut donner un cancer de la peau. Ah bon ? Ben ok alors. C'est con, j'aimais bien fumer, moi. Si y'a dix fois plus de coupures d'électricité maintenant qu'il y a quelques mois, c'est parce que y'a pas eu assez de pluie cet hiver, donc pas assez d'hydro-électricité. D'accord, mais ça pourrait pas être le gouvernement qui force la dose ? Pour obtenir un soutien plus massif pour sa centrale nucléaire, en faire un besoin très concret et a terme, la grande réussite de l'Iran, la réussite d'un gouvernement qui résiste aux pressions extérieures pour le bien de son peuple. Hein ? De quoi ? Bien sur que non, le gouvernement l'a dit a la télé, la raison des coupures. Ah bon, ben si le gouvernement l'a dit alors...
Ici comme dans un pays que je connais bien, l'information est ciblée. Les gens sont gavés de faits sans importance a propos de leur président. Ahmadinejad a dit ceci, fait cela, a rencontré telle personne, s'est rendu a tel endroit, a réitéré sa position la-dessus, a fait un signe d'ouverture envers tel pays...Encore, et encore, et encore. Même les infos internationales servent avec convenance les idées du gouvernement, en étant choisies et hiérarchisées avec soin, traitées avec l'angle idéal.
dans un journal, un livre, une chanson. La grande masse reste dans le brouillard, le financement de Comme dans un pays que je connais bien, mais a un degré bien moindre, ils restent des gens qui mettent en doute, qui critiquent, ou plus généralement qui ont arrêté d'écouter. La différence principale est qu'ici ils n'ont aucun moyen de s'exprimer a voix haute, être entendu par leurs compatriotes, d'écrire tout çal'éducation publique est volontairement au ras des pâquerettes, et l'on somme les instits et profs de mettre les bouchées doubles sur l'éducation religieuse et l'apprentissage du Saint Coran. Le gouvernement maintient la tête du peuple sous l'eau. Le peuple s'étouffe, s'asphyxie, mais reste sans trop de réaction, résigné".
L'iranien nous avoue le lendemain avoir écouté notre conversation, désirant exposer son point de vue et opposer ses idées aux notres. C'est un photographe de presse, qui a pas mal voyagé malgré son jeune age (25 ans) et a sans doute pour cette raison, pour ce recul, une vision plus globale et plus subtile, plus étayée que la plupart des iraniens qu'on a rencontré. Pourtant, même s'il se défend bien, il sort plus ou moins les mêmes choses que tout le monde, a savoir "on peut rien faire, il faut attendre la prochaine génération, etc..." Discours de passivité, de justification de la passivité. Le triste jeune homme aux yeux cernés est encore plus triste de nous entendre parler de son pays dans des termes peu flatteurs (bien qu'on y aille doucement). Paradoxalement, je comprend parfaitement sa position, c'est-a-dire on peut finir en prison si on se rebelle, y'a trop peu de gens qui sont prêt a agir donc c'est se mettre en danger pour rien...Comment ne pas comprendre cette peur, et ce sentiment que quoi qu'on fasse, rien ne changera ? Je comprends mais en même temps je méprise cette position, je méprise cette explication, cette excuse. Je ne fais rien parce que de toute façon rien ne changera. On entend souvent ça en France. Je vote pas parce qu'ils sont tous les mêmes. Je manifeste pas parce qu'on nous écoute pas. Je ferme ma gueule et me fais discret, comme ça je me mets pas le boss a dos. De toute façon, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on peut dire...Passivité, lâcheté. En France, quoi qu'on en dise, on ne risque rien, RIEN ! Donc on a aucune excuse. Et en Iran, les enjeux sont tellement énormes, et ils sont déjà tombés si bas, qu'ils n'ont plus rien a perdre, alors ils n'ont pas d'excuses non plus. C'est radical mais c'est ce que je ressens. Je garde a l'esprit les visages souriants des birmans, qui ont encore le courage de prendre du plaisir et d'apprécier le peu, le très peu que la vie leur offre. Je garde a l'esprit le visage de Bobo, leader des révoltes étudiantes de 1989 a Rangoon, emprisonné, frappé, cassé, brisé, exilé, humilié, esseulé, et ce pendant des années. Et il a encore le combat vissé au corps, la révolte dans le coeur, et la joie parfois, de juste passer un bon moment, boire un thé en bonne compagnie, et de savoir apprécier ces petits moments. J'ai des tas d'images de Birmanie qui me viennent a l'esprit. La vie la-bas me semble par bien des aspects, beaucoup plus terrible qu'en Iran. Et pourtant ils se battent, certains meurent pour leur idéal, ils souffrent mais ils savent rire, ils souffrent mais ils vivent. Et ils ne se résignent pas.
J'ai mal au crane aujourd'hui alors j'écris pas, et reste un bon moment en fin de journée sur mon lit, rideaux tirés, a écouter les sommes de connaissances farfelues que le Suisse a emmagasiné pendant ses voyages en Inde. Lukas me sort de ce monde merveilleux peuplé de guerriers, de magiciens, gurus, de forces du mal et de pouvoirs en toutes sortes. Il m'invite a bouffer, et nous prépare des bolognaises dans la cuisine a l'étage. Hummmm, des pâtes... Après manger, on se décide a bouger. C'est la qu'arrive la tentative de vol a l'arrachée dont j'ai parlé plus tôt, a 20 mètres de l'hôtel. Un peu sonnés, on fait la seule chose censée : on va chercher une glace. Oui, c'est notre réponse a tous les problèmes, et alors ?! On erre dans les rues, a la fois énervés et mélancoliques, reprenant encore et toujours nos discussions sur l'Iran, poursuivant ainsi de retour a l'hôtel, sans se douter que l'oreille (in)discrète d'un iranien qu'on pensait imperméable a l'anglais nous écoute avec grand intérêt.
"Ce pays est gangrené, malade. Il me fait penser a ces personnes qui, attrapant telle ou telle maladie, deviennent sans le vouloir, sans le contrôler, des personnes mauvaises. Ces malades qu'on a connu tout miel, la gentillesse même et qui, sous influence de ce mal, se mettent a balancer des insanités, a ruminer de mauvaises pensées, a s'énerver et a perdre patience pour la moindre chose.
Ce mal, cette colere, c'est a se demander si le gouvernement ne la cultive pas, multipliant les interdits et les sujets de frustration. Et ce même gouvernement s'efforce en parallèle a maintenir les gens dans l'ignorance, et a diriger cette colere envers des cibles choisies. Israel (souvent désignés comme les sionistes au lieu des israéliens dans les journaux), les Etats-Unis, le monde occidental dans son ensemble, ses infideles, mécréants qui ne croient pas en Dieu et se jette dans le stupre et l'immoralité. L'information est contrôlée, l'information est propagande. Et l'information reste malgré tout synonyme de vérité. Donc pas de mise en doute a l'extrême, sauf par une partie de la population. Il faut plus fumer le qalyan parce que ça peut donner un cancer de la peau. Ah bon ? Ben ok alors. C'est con, j'aimais bien fumer, moi. Si y'a dix fois plus de coupures d'électricité maintenant qu'il y a quelques mois, c'est parce que y'a pas eu assez de pluie cet hiver, donc pas assez d'hydro-électricité. D'accord, mais ça pourrait pas être le gouvernement qui force la dose ? Pour obtenir un soutien plus massif pour sa centrale nucléaire, en faire un besoin très concret et a terme, la grande réussite de l'Iran, la réussite d'un gouvernement qui résiste aux pressions extérieures pour le bien de son peuple. Hein ? De quoi ? Bien sur que non, le gouvernement l'a dit a la télé, la raison des coupures. Ah bon, ben si le gouvernement l'a dit alors...
Ici comme dans un pays que je connais bien, l'information est ciblée. Les gens sont gavés de faits sans importance a propos de leur président. Ahmadinejad a dit ceci, fait cela, a rencontré telle personne, s'est rendu a tel endroit, a réitéré sa position la-dessus, a fait un signe d'ouverture envers tel pays...Encore, et encore, et encore. Même les infos internationales servent avec convenance les idées du gouvernement, en étant choisies et hiérarchisées avec soin, traitées avec l'angle idéal.
dans un journal, un livre, une chanson. La grande masse reste dans le brouillard, le financement de Comme dans un pays que je connais bien, mais a un degré bien moindre, ils restent des gens qui mettent en doute, qui critiquent, ou plus généralement qui ont arrêté d'écouter. La différence principale est qu'ici ils n'ont aucun moyen de s'exprimer a voix haute, être entendu par leurs compatriotes, d'écrire tout çal'éducation publique est volontairement au ras des pâquerettes, et l'on somme les instits et profs de mettre les bouchées doubles sur l'éducation religieuse et l'apprentissage du Saint Coran. Le gouvernement maintient la tête du peuple sous l'eau. Le peuple s'étouffe, s'asphyxie, mais reste sans trop de réaction, résigné".
L'iranien nous avoue le lendemain avoir écouté notre conversation, désirant exposer son point de vue et opposer ses idées aux notres. C'est un photographe de presse, qui a pas mal voyagé malgré son jeune age (25 ans) et a sans doute pour cette raison, pour ce recul, une vision plus globale et plus subtile, plus étayée que la plupart des iraniens qu'on a rencontré. Pourtant, même s'il se défend bien, il sort plus ou moins les mêmes choses que tout le monde, a savoir "on peut rien faire, il faut attendre la prochaine génération, etc..." Discours de passivité, de justification de la passivité. Le triste jeune homme aux yeux cernés est encore plus triste de nous entendre parler de son pays dans des termes peu flatteurs (bien qu'on y aille doucement). Paradoxalement, je comprend parfaitement sa position, c'est-a-dire on peut finir en prison si on se rebelle, y'a trop peu de gens qui sont prêt a agir donc c'est se mettre en danger pour rien...Comment ne pas comprendre cette peur, et ce sentiment que quoi qu'on fasse, rien ne changera ? Je comprends mais en même temps je méprise cette position, je méprise cette explication, cette excuse. Je ne fais rien parce que de toute façon rien ne changera. On entend souvent ça en France. Je vote pas parce qu'ils sont tous les mêmes. Je manifeste pas parce qu'on nous écoute pas. Je ferme ma gueule et me fais discret, comme ça je me mets pas le boss a dos. De toute façon, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on peut dire...Passivité, lâcheté. En France, quoi qu'on en dise, on ne risque rien, RIEN ! Donc on a aucune excuse. Et en Iran, les enjeux sont tellement énormes, et ils sont déjà tombés si bas, qu'ils n'ont plus rien a perdre, alors ils n'ont pas d'excuses non plus. C'est radical mais c'est ce que je ressens. Je garde a l'esprit les visages souriants des birmans, qui ont encore le courage de prendre du plaisir et d'apprécier le peu, le très peu que la vie leur offre. Je garde a l'esprit le visage de Bobo, leader des révoltes étudiantes de 1989 a Rangoon, emprisonné, frappé, cassé, brisé, exilé, humilié, esseulé, et ce pendant des années. Et il a encore le combat vissé au corps, la révolte dans le coeur, et la joie parfois, de juste passer un bon moment, boire un thé en bonne compagnie, et de savoir apprécier ces petits moments. J'ai des tas d'images de Birmanie qui me viennent a l'esprit. La vie la-bas me semble par bien des aspects, beaucoup plus terrible qu'en Iran. Et pourtant ils se battent, certains meurent pour leur idéal, ils souffrent mais ils savent rire, ils souffrent mais ils vivent. Et ils ne se résignent pas.