Lynchage a Damas

Publié le par Jullian

Jamal et moi nous arrêtons a des hôtels voisins (le sien est trop cher a mon goût). Je vais faire mon petit tour en ville, et il me retrouve vers 21h a mon hôtel, au retour de son rendez-vous. Il est habillé classe, tout en noir. Il s'est acheté toute la panoplie pour son rencart. La soirée au cinéma, seul endroit discret, s'est finie tôt car elle vit encore chez ses parents, et est surveillée. Il est encore un peu dans les nuages. Des le lendemain, il va dormir chez la tante, qui prête sa maison de bonne grâce. Comme toujours avec Jamal, les choses vont a une vitesse incroyable. On passe une dernière soirée sympa ensemble.

Le lendemain, je pars tôt pour l'ambassade d'Iran. C'est tout un mic-mac pour payer le visa, car il faut passer par une banque spécifique, qui n'acceptent que les pounds syriens mais ne fait pas de change... Je repasse en fin d'après-midi récupérer mon passeport, avec mon beau visa tout neuf dedans.

Entre-temps, j'ai l'immense "plaisir" de tomber sur Andrei, accompagné d'une belle coréenne aperçue au Talal's Hotel. Ils arrivent tout juste de Beyrouth. Ils vont au même hôtel que moi, donc je les recroiserai forcément.

Je me rends au Souq, et perçois de l'animation un peu plus loin. Je m'arrête, a l'affût, et aperçois deux mecs qui se battent et se poursuivent. Ils se courent bientôt après au milieu des voitures, la "proie" frappant les caisses et tout ce qui passe avec une pancarte. Le poursuivant le frappe allègrement a chaque fois qu'il le rattrape. Ils gueulent comme des putois, et de plus en plus de gens s'arrêtent, s'approchent. Très vite, une petite foule entoure "l'homme-proie" et ses poursuivants, qui sont maintenant plusieurs a essayer de le maîtriser. Torse-nu, et saignant déjà sous les coups, il se bat comme un beau diable pour s'échapper, mais jamais pour longtemps. La foule complice le contient quelque peu, suffisamment pour qu'il soit rattrapé.
Je me demande ce qu'il a fait. Ça a l'air extrêmement grave. Les policiers s'en mêlent et y vont gaiement avec leur matraque. Je me sens bizarre. Je sais pas bien ce a quoi je suis en train d'assister. De mon point de vue, ça ressemble en tous points a un lynchage. La victime se fait traîner par les pieds, par les mains, frappé par toutes sortes de choses, par de plus en plus de gens. Il gesticule avec l'énergie du désespoir, comme luttant pour sa survie, refusant de se laisser faire. Il est presque nu a présent, le corps recouvert de sang, le regard fou d'une antilope qui essaie vainement d'échapper aux griffes d'une lionne. Il est tenu tant bien que mal par les quatre membres, se contorsionnant en l'air comme un ver de terre coupé en deux, recevant des coups de coudes censés le calmer. Le monde autour de lui est impressionnant maintenant. Certains s'amusent et rigolent comme au cirque. Des mouvements de foule brutaux et brefs font des vagues de temps a autre, m'entraînant avec eux, alors que j'essaie de suivre l'action au plus près.
Le malaise que je ressens est aussi fort que ma fascination. J'arrive pas a me résoudre a sortir mon appareil-photo, malgré les photos sensationnelles qui s'offrent a moi. Je me pose des tas de questions alors que je devrais prendre ces maudites photos et y réfléchir ensuite, probablement. Scrupules, mauvaise conscience, lâcheté,...je dois pas avoir l'âme d'un reporter. Pourtant, certains syriens ne se gênent pas, flashant avec leur téléphone, montant sur le toit des voitures pour avoir une meilleure vue sur le tabassage.
En tout, ça a bien dure 15-20 minutes très intenses, avant que les policiers le maîtrisent suffisamment pour le mettre dans une voiture direction commissariat. Des policiers tout énervés arrivent trop tard, matraque a la main, réclamant leur part. On leur dit qu'ils sont partis au poste, et les voila qui filent en quatrième vitesse. J'imagine que la-bas, le pauvre gars va pas être reçu avec du thé et des biscuits. Ce qu'il a fait, je l'ignore. Peut-être a t'il volé quelquechose ? D'ailleurs, j'ai eu peur un moment qu'ils lui coupent la main comme ça, dans la rue, ayant vu quelqu'un s'enfoncer dans la foule avec deux espèces de hachoirs en métal fin. Mais heureusement, ce n'était qu'un délire de ma part, on coupe pas les mains des voleurs en Syrie, a ma connaissance. Je reste sous le choc tout en poursuivant ma route vers le Souq.

Publié dans SYRIE

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A
Monsieur, j'espère que votre récit sera lu par les personnes qui critiquent le manque de liberté et de démocratie en France
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J
<br /> Monsieur, je pense bien que certaines personnes qui critiquent le manque de liberte et de democratie en France liront cet article. En tous cas, je peux vous dire qu'il a ete ecrit par une de ces<br /> personnes. Une de ces personnes qui supporte de plus en plus mal la vie politique et mediatique francaise. Ce qui ne m'empechera pas de voir comme on est chanceux encore par rapport a d'autre pays<br /> (je suis en Iran en ce moment, par exemple). Mais encore une fois, ce n'est pas parce qu'il y a pire ailleurs, que je cesserai de critiquer les derives de notre propre systeme...<br /> Malgre tout, je comprend votre point de vue, et c'est vrai qu'il n'y a pas de comparaison possible. Et que voir ce genre de chose nous remet a notre place, et nous fait grandement reflechir.<br /> merci de votre commentaire en tous cas. et que vive la liberte et que sois ecoutee la voix du peuple...<br /> <br /> <br />