Une bonne journée pavée d'échecs

Publié le par Jullian

Le samedi, José et James sont repartis, Brandon et John décuitent lentement sur le canapé (une bière a la main pour John!) alors que moi je pars en stop plus loin dans la région, avec pour projet de revenir a pied par la vallée. Un étudiant de l'école catholique française me prend dans sa vieille coccinelle pourrie.
Tout en discutant, je le vois s'acharner sur ses phares, faisant des appels a chaque voiture ou piéton croisés, et avant chaque virage. Je rigole silencieusement dans la moustache que je n'ai plus et lui demande s'il a un problème avec son klaxon. Il me répond, mi-vexé, mi-désespéré, que son klaxon ne marche pas. Je doute franchement de l'efficacité des appels de phare avant un virage pour prévenir ceux qui vont en surgir, mais se désintoxiquer du klaxonnage intensif semble quelquechose de douloureux pour un libanais, alors pourquoi pas. C'est un substitut moins bruyant en tous cas.


Il me lâche a un croisement qui m'indique Hawka, point de départ de ma ballade. Je descend la route serpentine, passe un village, voit un sentier qui descend sur la gauche. Mais je me dis que c'est pas possible que je sois déjà arrivé au sentier. Je veux pas commencer la marche du retour trop tôt et être de retour au bout de deux heures, alors je continue. Une heure plus tard, j'arrive au fond de la vallée, entouré de champs et vergers disposés en étages, au pied d'une falaise ou s'accroche un monastère. Je sais pas ou je suis, je vois pas de sentiers, et personne a l'horizon pour m'indiquer la route. Alors je continue sur le bitume et sous les coups de butoir du soleil, remontant de nouveau la vallée. Arrivé en haut, je coupe par la montagne pour éviter les incessants et monotones zig-zag de la route. Je crapahute dans les rochers, rationnant le peu d'eau qu'il me reste. C'est évident maintenant, je me suis complètement paumé. Reste plus qu'a trouver une ville, a boire, a manger, et quelques bonnes informations.


Agressé par le soleil, je m'avance vers un abri de berger en pierre ou je compte me reposer a l'ombre. Sur le seuil, je m'arrête a la vision d'un gros chien qui sort de l'ombre en me montrant toutes ses belles dents acérées. Il grogne. A un mètre de moi. Un pas en arrière, et le voila qui sort comme un diable de sa boite, et court après moi, qui suis parti comme une fusée. Je ramasse un bout de bois que je fais tournoyer tout en gueulant comme un homme des cavernes (un petit remake de "2001, l'odyssée de l'espace" au fin fond du Liban, ça a son charme). Je m'arrête, me retourne bâton a la main, et le voit un peu plus loin, toujours furax. Je fais de l'escalade pour éviter de repasser par la cabane, mais ce couillon est parti plus loin, sur le seul chemin possible. Du coup, de Kubrick, on passe a Sergio Leone. On s'avance l'un vers l'autre, lui avec ses dents, moi avec mon bâton. Il prend la gauche du chemin, je prends la droite, et on se croise lentement, sans se quitter des yeux, sans se tourner le dos, et dans mon cas, prêt a péter le record du 100 mètres. A bonne distance, je me remet dans le bon sens, village en vue, que je rejoins par la route.


Je réveille un p'tit vieux qui sieste sur le seuil de sa petite boutique. Il me vend coca, eau et m'apprend que je suis a Seraal, a l'autre extrémité de la vallée, complètement a l'ouest, et dans tous les sens du terme. Le moins qu'on puisse dire de ce patelin, c'est qu'il déborde pas d'activités. Y'a pas un chat dehors. Je demande alors en mimant au vieux s'il connaît un endroit ou je pourrais manger. Il s'égosille pour appeler la voisine, qui me concocte un sandwich dans sa cuisine, avec ce qu'elle a sous la main. Je grignote sur le trottoir, assis sur une chaise de jardin. Une voiture passe de temps en temps. Sinon rien.
Je repars en stop. Un mec me prend et me lâche a Ehden, plus haute ville de la vallée, avec un beau panorama. Puis un routier s'arrête pour moi. Il va a Bcharré mais je lui demande de me laisser a la ville juste avant, pour faire quand même deux heures de marche dans la vallée. Il sait apparemment pas trop ou se trouve la route qui descend dans la vallée. Il me laisse au croisement qu'il croit être le bon. Naturellement, je marche une bonne heure pour ne trouver que des culs-de-sacs, qui s'arrêtent brutalement sur des précipices. Je suis quand même récompensé par de belles vues que je savoure avec des cerises et des abricots ramassés sur le chemin.


On me donne des indications contradictoires qui me font tourner en rond. Finalement, une petite vieille qui parle français me dit tout ce que je cherche a savoir mais me prévient que je serai jamais de retour avant la nuit. Mes jambes sont lourdes et rien n'a l'air de vouloir se passer comme prévu, alors je rentre sur Bcharré dans la belle caisse d'un australo-libanais revenu au pays.
Tout a été de travers aujourd'hui mais je suis bien content de ma journée. Je retrouve John et Brandon exactement ou je les avais laissés. Sarah alterne sieste et révisions soporifiques. Ferez arrive plus tard, après avoir visité toute sa famille. Après la bonne bouffe concoctée par Antoinette, une nouvelle soirée tranquille s'installe.

Publié dans LIBAN

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